SONNETS

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SUR LES DÉBUTS D’AMINA BOSCHETTI

AU THÉÂTRE DE LA MONNAIE, À BRUXELLES

Charles Baudelaire

Amina bondit, — fuit, — puis voltige et sourit ;

Le Welche dit : « Tout ça, pour moi, c’est du prâcrit ;

Je ne connais, en fait de nymphes bocagères,

Que celles de Montagne-aux-Herbes-Potagères. »

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Du bout de son pied fin et de son œil qui rit,

Amina verse à flots le délire et l’esprit ;

Le Welche dit : « Fuyez, délices mensongères !

Mon épouse n’a pas ces allures légères. »

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Vous ignorez, sylphide au jarret triomphant,

Qui voulez enseigner la valse à l’éléphant,

Au hibou la gaîté, le rire à la cigogne,

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Que sur la grâce en feu le Welche dit : « Haro ! »

Et que, le doux Bacchus lui versant du bourgogne,

Le monstre répondrait : « J’aime mieux le faro ! »


Sonnet de l’amour sans phrases

Raoul Ponchon

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Et puis l’Ennui nous vint qui fana sous ses doigts
Notre Amour, cette fleur absurde et printanière
Éclose souviens-toi, boulevard Poissonnière,
Quand les nids commençaient à chanter sous les toits.
 
On s’est bien aimé deux – à n’en plus finir – mois.
Moi d’après ma façon, toi selon ta manière.
Deux mois ! Ce n’est pas rien pour ma moelle épinière,
D’autant que l’on comptait trente et un jours, je crois.
 
L’amour a son mystère et le cœur ses abîmes.
Je ne me souviens plus sur quel mot nous rompîmes,
Mais je suis bien certain que ce fut galamment,
 
Sans phrases de dépit, sans nous faire de scènes :
Tandis que tu partais au bras d’un autre amant,
Pour Auteuil, je prenais l’omnibus de Vincennes.

Vénus Anadyomène

Arthur Rimbaud

Comme d’un cercueil vert en fer blanc, une tête
De femme à cheveux bruns fortement pommadés
D’une vieille baignoire émerge, lente et bête,
Avec des déficits assez mal ravaudés ;

Puis le col gras et gris, les larges omoplates
Qui saillent ; le dos court qui rentre et qui ressort ;
Puis les rondeurs des reins semblent prendre l’essor ;
La graisse sous la peau paraît en feuilles plates ;

L’échine est un peu rouge, et le tout sent un goût
Horrible étrangement ; on remarque surtout
Des singularités qu’il faut voir à la loupe…

Les reins portent deux mots gravés : Clara Venus ;
– Et tout ce corps remue et tend sa large croupe
Belle hideusement d’un ulcère à l’anus.

Sitôt que le sommeil…

François Malherbe

Sitôt que le sommeil au matin m’a quitté,
Le premier souvenir est du c.. de Nérée,
De qui la motte ferme et la barbe dorée,
Égale ma fortune à l’immortalité.
 
Mon v.., dont le plaisir est la félicité,
S’allonge incontinent à si douce curée,
Et d’une échine roide au combat préparée,
Montre que sa colère est à l’extrémité.
 
La douleur que j’en ai m’ôte la patience,
Car de me le mener c’est cas de conscience,
Ne me le mener point ce sont mille trépas.
 
Je le pense flatter afin qu’il me contienne,
Mais en l’entretenant je ne m’aperçois pas,
Qu’il me crache en la main sa fureur et la mienne.

Si c’est Phébus…

Charles de Vion Dalibray

Si C’est Phébus qui trotte à l’entour de la terre,
Ou la terre en son lieu qui roule dans les cieux,
Cher Pailleur, tu le sais, et tes soins glorieux
T’ont rendu vieux soldat en cette vieille guerre.
 
Mais moi de qui l’esprit ne va pas si grand erre
Et qui suis seulement ce que je vois des yeux.
Je puis bien m’y tromper et ferais beaucoup mieux
De ne jamais parler que du pot et du verre.
 
Toutefois dans le vin je trouve une raison,
Ou, si tu l’aimes mieux, une comparaison
Qui me range aisément du parti de ce livre :
 
Car, après avoir bu treize ou quatorze coups,
Des esprits tournoyant dans notre cervelle ivre
Font que tout semble aussi tourner autour de nous.

KATHOUM

Germain Nouveau

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Oh ! peindre tes cheveux du bleu de la fumée,

Ta peau dorée et d’un ton tel qu’on croit voir presque

Une rose brûlée ! et ta chair embaumée,

Dans les grands linges d’ange, ainsi qu’en une fresque,

Qui font plus brun ton corps gras et fin de mauresque,

Qui fait plus blanc ton linge et ses neiges d’almée,

Ton front, tes yeux, ton nez et ta lèvre pâmée

Toute rouge, et tes cils de femme barbaresque !

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Te peindre en ton divan et tenant ton chibouk,

Parmi tes tapis turcs, près du profil de bouc

De ton esclave aux yeux voluptueux, et qui,

Chargé de t’acheter le musc et le santal,

Met sur un meuble bas ta carafe en cristal

Où se trouble le flot brumeux de l’araki.

Dans un vieux manuscrit

Philippe de Massa

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Dans un vieux manuscrit tout couvert de ratures,

Reposaient les brouillons de ces trente sonnets :

Oronte y trouverait d’aimables portraitures,

Alceste les mettrait peut-être aux cabinets.

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Il nimporte ! Qu’ils soient pleins de désinvoltures,

Ou d’un tour familier qui les rend trop jeunets

Pour paraître en volume aux feux des devantures,

Ce n’est point au public que je les destinais.

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Et pourtant les voici dans leur forme légère,

Entés sur quelque idylle informe et mensongère

Ces bouquets à Chloris voués à l’Achéron,

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Que j’exhume à l’insu de leurs destinataires

En y melant parfois les échos militaires

D’un appel de trompette ou dun coup de clairon.

Quand en songeant…

Pierre de Ronsard

Quand en songeant ma folâtre j’acolle,
Laissant mes flancs sur les siens s’allonger,
Et que, d’un branle habilement léger,
En sa moitié ma moitié je recolle!

Amour, adonc, si follement m’affole,
Qu’un tel abus je ne voudroi changer,
Non au butin d’un rivage étranger,
Non au sablon qui jaunoie en Pactole.

Mon dieu, quel heur, et quel consentement,
M‘a fait sentir ce faux recollement,
Changeant ma vie en cent métamorphoses!

Combien de fois, doucement irrité,
Ssuis-je ore mort, ore ressuscité,
Entre cent lis et cent merveilles roses !

LA FORTUNE DE L’HERMAPHRODITE

Françcois Tristan L’Hermite

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Les dieux me faisaient naître, et l’on s’informa d’eux

Quelle sorte de fruit accroîtrait la famille,

Jupiter dit un fils, et Vénus une fille,

Mercure l’un et l’autre, et je fus tous les deux.

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On leur demande encor quel serait mon trépas :

Saturne d’un lacet, Mars d’un fer me menace,

Diane d’une eau trouble, et l’on ne croyait pas

Qu’un divers pronostic marquât même disgrâce.

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Je suis tombé d’un saule à côté d’un étang,

Mon poignard dégainé m’a traversé le flanc,

J’ai le pied pris dans l’arbre, et la tête dans l’onde.

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Ô sort dont mon esprit est encore effrayé !

Un poignard, une branche, une eau noire et profonde

M’ont en un même temps meurtri, pendu, noyé.

LES TÊTES DE MORTS

Jules Laforgue

    E più tu ridi perchè taci e sai.


Voyons, oublions tout, la raison trop bornée
Et le cœur trop voyant ; les arguments appris
Comme l’entraînement des souvenirs chéris ;
Contemplons seule à seul, ce soir, la Destinée.
 
Cet ami, par exemple, emporté l’autre année,
Il eût fait parler Dieu ! — sans ses poumons pourris,
Où vit-il, que fait-il au moment où j’écris ?
Oh ! le corps est partout, mais l’âme illuminée ?
 
L’âme, cet infini qu’ont lassé tous ses dieux,
Que n’assouvirait pas l’éternité des cieux,
Et qui pousse toujours son douloureux cantique,
 
C’est tout ! — Pourtant, je songe à ces crânes qu’on voit.
— Avez-vous médité, les os serrés de froid,
Sur ce ricanement sinistrement sceptique ?