Entretiens

Incapable de refaire surface depuis la mort de son mari, Delphine décide de s’exiler au Canada. En quête d’un nouveau sens à sa vie, elle se découvre une passion pour la marche au point d’y consacrer toutes ses journées et d’en délaisser ses enfants. Consciente de ses manquements, elle organise une petite excursion dans un parc régional. Mais après un détour hors sentier, la famille s’égare dans l’immense forêt canadienne. C’est alors qu’un mystérieux promeneur se propose de les aider. Delphine est loin de s’imaginer que la déroute ne fait que commencer.

Comment avez-vous fait pour ne pas tomber dans le manichéisme au moment de construire le personnage de Billy, le méchant de l’histoire ?

Je suis quelqu’un d’assez pragmatique et cartésien. Je sais que le monde n’est pas tout noir ou tout blanc. C’est pareil pour les gens. Je ne voulais pas d’un méchant de film qui est juste né pour être méchant. Les cheminements menant à une personnalité sont plus complexes. Billy est seulement un pauvre type, malade, qui a pris de mauvaises voies à certains moments. C’est tout ce que je voulais retranscrire. Libre à chacun d’en penser ce qu’il souhaite.

Le réalisme d’un roman repose beaucoup sur une construction cohérente et efficace des personnages. Ils doivent être attachants et forts. Les avez-vous imaginés au fur et à mesure ou êtes-vous parti d’un plan général destiné à mettre en lumière leur profil psychologique ?

Je n’ai jamais de plan. Ou s’il en existe un, il reste dans mon esprit et se modifie au gré de l’avancée de l’histoire. La seule chose que je fixe dès le début, c’est la fin. J’ai toujours une image très précise de la scène que je veux voir comme si j’étais au cinéma. Par exemple, pour Déroutée, j’imaginais les portes du véhicule se fermer, puis entendais les basses de la chanson Roads de Portishead. Zoom arrière et le générique tombe au moment où Beth commence à chanter. C’est un peu égoïste mais j’écris des histoires pouvant avant tout me plaire. Ou tout du moins, que j’aimerais lire.

Existe-t-il selon vous un secret pour ne pas s’égarer dans la narration et garder, au fil de l’histoire, une constante intensité dramatique ? Faites-vous, à cette fin, un plan des scènes à décrire, avec leur contenu sous forme de notes ?

S’il en existe un je ne le connais pas encore. J’essaie seulement de garder un fil logique et sensé par rapport à comment j’ai construit les personnages. Ils doivent rester cohérents avec ce qu’ils ont montré jusque-là.

Est-ce que l’humour vous semble incompatible avec l’action d’un thriller ? Je pense au passage où vous donnez comme exemple d’aliénation mentale le fait de sauter, sans logique, d’un sujet à l’autre tout en nouant des vers de terre entre eux. J’ai été pour ma part surpris dans le bon sens par cette soudaine fantaisie verbale. Le romancier, d’après vous, doit-il faire attention à ne pas tomber dans trop d’excentricités de langage afin de se concentrer davantage sur un strict compte rendu d’événements ?

Aucune incompatibilité selon moi, tant que cela reste dans la même lignée que les personnages. Je veux dire par là qu’on peut mal enchaîner des traits d’humour salaces sur une Bonne sœur par exemple. Ça tomberait rapidement dans une certaine forme de grossièreté. J’aurais pu y aller plus fort sur Billy en revanche, mais je me suis freiné car j’avais un peu poussé les vulgarités dans mon précédent roman ; ça a peut-être desservi son succès.

Quelles ont été vos recherches préparatoires dans le contexte de cette longue randonnée en forêt ? Plus particulièrement, avez-vous imaginé un itinéraire en amont ou s’est-il dessiné au fur et à mesure ?

Je suis fasciné par l’Amérique en général. Je maîtrise plutôt bien la géographie du continent et je voulais que mon roman prenne place dans le nord est. Je savais que les forêts pouvaient être coriaces par là-bas. Ça a ensuite été à la fois compliqué et passionnant, parce que ça ne collait pas toujours avec ce que je voulais. J’ai utilisé Google earth pour visualiser le terrain. Ça manquait parfois de précision et je devais interpréter ce que je pensais être une colline ou une clairière. J’ai essayé d’être le plus réaliste possible mais j’ai un peu triché. Si certaines villes existent vraiment, j’en ai inventé d’autres, notamment pour celles des USA puisque c’est un sacré no man’s land de leur côté. J’avoue avoir pris certaines libertés également pour le paysage et le relief, car lorsque l’on regarde la carte, il n’est pas aussi montagneux que ce que laisse croire l’histoire. En revanche la forêt est bien celle que je décris d’un point de vue géologique. Nos amis Canadiens ne m’en voudront pas, j’espère… En ce qui concerne l’itinéraire, je ne m’étais pas forcément imposé de chemin particulier. L’important était la déroute.

Votre récit s’impose comme une aventure très cinématographique. Avez des astuces à suggérer afin de parvenir à un tel rendu réaliste ?

J’aime le cinéma. J’aime les films sans morale et qui finissent mal. J’aime aussi les beaux paysages de montagne et le calme qu’ils offrent. À partir de là, c’est assez simple pour moi d’introduire des personnages dans le cadre. Ils me viennent assez spontanément, à la fois inspirés par ce que je peux voir dans ces films et séries et dans mes lectures. Je suis un fan absolu de Stephen King par exemple. Situer l’histoire dans sa région m’a permis de le remercier quelque part pour tout ce qu’il m’a donné à travers ses histoires. Je pense que pour que le rendu soit réaliste, il doit y avoir un bon équilibre entre le travail de recherche et l’imagination. J’entends par là qu’on doit toujours pouvoir situer, au moins de loin, une action. C’est une des raisons pour lesquelles j’ai un mal fou à lire des romans de style fantasy, avec des elfes et des lutins sur des planètes à trois soleils et deux lunes. Mon esprit cartésien n’arrive pas à tolérer l’inexistence de ces lieux. Je ne parle évidemment que de mes propres goûts.

La fin du roman voit l’arrivée progressive des secours dans un climat très tendu. Et le suspense reste intact jusqu’au bout. Est-ce que les rebondissements, en particulier, jouent une part importante, selon vous, dans le fait de maintenir l’attention comme la tension de l’histoire aux yeux du lecteur ?

Les rebondissements sont indispensables selon moi. Il doit y en avoir au moins un même si je sais que certains auteurs ont la plume pour amener d’un point à un autre sans passer par un crossover monstrueux.

Etait-ce un choix tout à fait calculé de ne livrer aucun détail sur la vie professionnelle de Delphine avant que cet aspect, jusque-là mineur, ne prenne, enfin, tout son sens dans l’ultime partie ? Aviez-vous planifié cela en vue de créer une espèce d’effet de miroir par rapport à ce qui lui arrive en tant qu’héroïne ?

En réalité, c’est en écrivant l’épilogue que je me suis aperçu que je n’avais à aucun moment parlé de ce que faisait Delphine comme métier. L’idée de sa profession m’est apparue naturellement. Ça collait avec le mystère, le fait qu’elle puisse déménager et vivre de ses économies. Ça a été ensuite été assez facile de glisser quelques indices ici et là dans le texte. Ajouter ce petit détail à la fin m’a d’ailleurs procuré beaucoup de plaisir. Un peu comme si j’avais réussi un examen ou résolu une énigme. C’était une évidence.

Une histoire se fonde souvent sur des antagonismes dans les personnalités et caractères. Partez-vous de ce type de schéma narratif pour construire votre roman ?

J’essaie de marquer les différents caractères afin qu’on ne confonde pas untel et untel dans l’histoire. L’idée principale selon moi est de pouvoir associer un prénom à une personnalité. Il y a parfois des ressemblances mais je fais attention à ce que chacun reste à sa place. Toutes ces choses se créent au fur et à mesure de mon avancée. Une fois que j’ai une idée en tête, un type de personnalité, je reviens rarement dessus.

Avez-vous imaginé le personnage de Jo comme un fil rouge de l’histoire ? Il apparaît en filigrane tout au long du récit jusqu’à apparaître à nouveau à un moment clef dans le dénouement de l’intrigue. Sans vouloir en dire trop ici, il se révèle comme une espèce de coach sportif dans une situation où l’issue heureuse ou fatale dépend du courage de Romane, la fille de Delphine. Quelle était l’importance à cet égard des précisions que vous donnez sur la partie de football qui se joue au coeur du roman ? On pourrait penser tout d’abord que cet épisode est un peu hors sujet. Or ce n’est visiblement pas le cas.

Jo peut tout à fait être considéré comme un fil rouge, même si je ne cherche absolument pas à me focaliser sur lui. Il est là en soutien mental, psychique. A la manière d’un coach, comme vous dites. J’avais envie qu’il y ait un petit côté mystique tout en pouvant expliquer facilement et scientifiquement les choses. Le septique que je suis verra que l’hypothermie entraîne des hallucinations, d’autres y trouveront une lecture plus spirituelle. Chacun choisit sa voie. J’ai voulu par le biais du match de foot préparer « l’arrivée » de Jo pour sa fille. Son message a été et est toujours de la soutenir et de lui montrer la voie. C’est un peu une manière de marquer à la fois le courage, l’abnégation et l’adversité je pense. J’espère que ce sera bien perçu.

Quelle est l’importance du parallèle entre les Vosges et les forêts canadiennes ? Existe-t-il d’autres correspondances que celle-ci dans le roman ?

Une branche de ma famille est originaire d’un petit village proche de Saint-Dié-des-Vosges. J’ai un affect tout particulier pour cette région et j’avais envie que cela soit le secteur d’origine de mes personnages. J’ai pris soin de légèrement modifier le nom du village d’origine, Dapache, qui est en fait la contraction des deux villages d’où viennent ma famille.

Billy se trouve être, peut-être, le personnage le plus attachant du récit. Est-ce que vous pensez que ce constat que l’on peut faire à son sujet relève d’un certain paradoxe à cause de son statut de criminel ?

Je suis content que vous disiez ça car c’est exactement le sentiment que je voulais laisser avec lui. J’avais envie de perturber le lecteur avec un méchant très sombre, sûrement pas pardonnable mais dont on peut expliquer beaucoup des errements. Les méchants qui sont simplement méchants sont peu intéressants. J’aime la nuance. Comme je disais plus haut, tout n’est pas noir ou blanc. Il y a des variations.

Charles retrouve un père d’adoption en Billy. Avez-vous tenu à rendre ce dernier assez touchant au final, afin de ne pas céder à une plate caricature du déviant sexuel ? Il y a des flottements bienvenus en ce qui concerne ses intentions, comme s’il cherchait à se convaincre lui-même que tout n’est pas perdu. Au point que l’on a l’impression à un moment que l’histoire connaît une pause. Vouliez-vous ménager une espèce de bulle temporelle au coeur d’un récit par ailleurs haletant ?

J’ai effectivement voulu entrer en profondeur dans cette relation à un moment, mais je ne voulais pas non plus donner l’impression que je cautionnais les agissements de Billy. Je craignais de multiplier les thèmes et de m’y perdre. C’est pourquoi j’ai créé cette petite enclave temporelle dans le récit. J’ai posé des bases et c’est au lecteur d’en tirer ce qu’il souhaite.

Le huis-clos dans la cabane de chasseur est particulièrement bien rendu. Il sert de théâtre de résolution des faits tout en maintenant le doute sur les motivations dernières de Billy. Est-ce que les scènes qu’il voit se dérouler vous ont coûté plus d’efforts que le reste du roman ?

Ça a été un peu plus délicat à aborder car il fallait peser chaque mot. J’ai vraiment cherché à figer la situation. Mais il y a cet événement qui fait tout basculer et j’avoue avoir été assez content de pouvoir me tirer de cette cabane.

Vous avez fait en sorte que rien n’apparaisse comme irréaliste ou trop forcé. Peut-on faire l’impasse, en matière narrative, sur ces hasards nécessaires comme le moment où la déroute de Delphine et ses enfants croise celle de Billy ?

Je voulais que cela ressemble le plus possible à ce qu’on peut réellement vivre. Croiser un type comme Billy est rare mais il suffit d’écouter un peu les histoires de Christophe Hondelatte pour savoir que ça arrive malgré tout. À côté de ça, je suis resté effectivement très réaliste. C’est un peu ma marque de fabrique.

Vous a-t-il été difficile ne pas tomber dans la redite ? Combien de coupes avez-vous opérées pour parvenir au texte final ? Avez-vous au contraire tout gardé, sans avoir à écrémer certains aspects ?

J’en avais commis quelques unes que j’ai eu le temps de rectifier. Il y a un moment où j’avais un peu trop l’impression de forcer sur le fait que Delphine sait que Billy est dangereux mais ne peut rien faire. J’ai amenuisé ce sentiment mais j’ai toujours un peu peur que cela se remarque encore. Je n’ai pas fait beaucoup de coupes pour arriver au texte final. J’ai supprimé peut être 1000 ou 1500 mots je pense. J’avais également un premier chapitre qui ne parlait que de la baby sitter. A la relecture, ça me paraissait inintéressant alors j’ai supprimé. Je pense qu’il ne faut pas avoir peur de supprimer des passages pour épurer. C’est une chose que j’avais peur de faire lors de mes premiers romans. J’ai dû perdre quelques lecteurs à cause de digressions stupides.

Je songe aux descriptions forestières qui émaillent les mésaventures des protagonistes. Il doit être délicat, à cet égard, de renouveler son inspiration quant au rendu d’ambiance générale que l’on souhaite créer. Comment cette toile de fond descriptive contribue-t-elle pour vous à l’action proprement dite ?

Ah c’est sûr que le paysage forestier est répétitif. J’ai essayé de jouer également sur la météo pour détailler l’environnement. Mais je souhaitais surtout faire perdre tous les repères des protagonistes. Les remettre à l’état de simple mortel au cœur de la nature impitoyable. On reste sur le thème de l’adversité.

Comme dans les bons romans à suspense, le personnage de Billy se trouve mêlé à des intrigues secondaires, néanmoins cruciales dans la montée dramatique du récit. On le croit à un moment repenti. Mais il n’en est rien, bien sûr. Après s’être comme rangé, il bascule à nouveau dans ce que vous appelez ses dérapages. Etait-il important de le placer dans une situation extrême où, devenu fugitif autant qu’hors-la-loi, il n’a désormais plus rien à perdre et peut laisser par conséquent place, potentiellement, à toutes ses pulsions ?

C’est absolument ça. Il fallait qu’il soit perdu et condamné pour agir ainsi. Selon moi, il voit dans cette petite famille un ultime moyen de se sauver mais se voile la face sur la réelle possibilité d’aller au terme. Il lutte contre lui-même pour garder cet équilibre.